Accueil / Chez Moi / Il était une fois en Haïti

Il était une fois en Haïti

Tessa Dazooloute

tessa 1 frescos

(Photo : Tessa Dazooloute)

Qui suis-je ? Voilà une question que je n’ai jamais cru me poser cinq ans plus tôt. Déterminée, j’avais déjà choisi le métier que je voulais exercer et déjà établi ma période de préparation pour le bac. Insouciante, j’organisais mes vacances d’été bien méritées. Tout à coup, à cause de la situation socio-politique du pays, ma mère m’apprend que je poursuivrai mes études scolaires aux États-Unis.

Nous sommes en juin 2021.

Et en septembre 2021, à la rentrée scolaire, je découvre une nouvelle Tessa. Même apparence, même timbre de voix. Pourtant elle a un peu changé. Un peu de son assurance est perdu, elle doit se réintégrer. Elle ne parle plus de la même façon. La langue anglaise, elle la connait, elle l’a étudiée au cours de son parcours scolaire. Mais elle ne retrouve plus son éloquence passée.

Petit à petit, elle fait de belles rencontres dans sa nouvelle communauté. Ses amis et sa famille ne manquent pas de l’encourager et la rassurer sur son accent. Et quand les mets du terroir évoquent des vagues nostalgiques en elle, elle se rend dans un restaurant haïtien, très côté, près de chez elle et tout s’arrange. Elle y commande sa recette préférée, du tassot de cabri, recette qu’elle déteste préparer mais qu’elle se permet de critiquer lorsque mal cuisinée. Après, il y a aussi les festivals du 18 mai pour la fête du drapeau haïtien où elle apprécie les chansons de sa terre et rencontrent d’autres jeunes nostalgiques ou qui connaissent Haïti à travers leurs parents. Cette Tessa, elle a mûri. Elle apprécie tout son parcours et continue d’aimer son pays, malgré vents et marées.

tessa 2 tassot de cabri

(Photo: Tessa Dazooloute)

Parfois, certaines connaissances me demandent si je me sens soulagée d’avoir laissé Haïti à cause de la situation politique actuelle du pays. Mais là n’est pas la question. La personne que je suis aujourd’hui a été formée en Haïti. Ma manière de penser ou d’agir sont influencés par les coutumes du terroir. Haïti fait partie de mon histoire. Et un beau jour ce sera également l’histoire de mes enfants.  

Souvenirs privilégiés du terroir

L’un des moments qui me manquent toujours est celui d’un matin d’école en Haïti. Aux Etats-Unis, on a l’impression que la rue est toujours éveillée. Mais en Haïti, on se réveille avec la ville. Les marchands chaleureux qui vendent des pains au beurre d’arachide le matin. Les rues qui grouillent d’écoliers bien mis en route vers l’école. Une fois à l’école, rencontrer mes amies pour mettre à jour nos potins ou nerveusement réviser pour une interro de mathématiques. À la sortie d’école, nous achetions des « frescos », boissons faites de glace râpée et des sirops multicolores, auprès d’un gentil monsieur dans la rue d’en face. Les marchands connaissaient nos points faibles puisqu’ils étalaient leur marchandise tout près de l’école. Aussitôt les cours finis, nous étions tentées par les différentes gourmandises les unes plus colorées que les autres ou des accessoires attrape-œil comme de jolis stylos. En grandissant, le commerce artisanal attirait également mon attention. Des sacs à main artisanaux et des sandales crochetées ont su captiver mon cœur de jeune fille. Ces œuvres d’art faisaient de ma mère et moi des complices. Nous faisions le tour des boutiques et des rues à la recherche de sacs à main uniques et flamboyants.

Les soirées d’anniversaire, les fêtes de communion, les diners en blanc ou simplement les rencontres entre familles et amis étaient rythmés de konpa et de zouk. Les éclats de rires jaillissaient dans la salle et les couples se formaient sur la piste de dance et se laissaient emporter par la mélodie. L’atmosphère était simplement chaleureuse. Il y avait également le week-end à la plage. Nous nous réveillions de bonne heure et sautions dans la voiture. Le trajet nous ennuyait car il était long mais nous étions vite consolés à l’idée de la journée que nous passerions.  Je rêvais déjà du Kokoye (noix de coco) que je dégusterais à la plage. En effet, il y avait un marchand avec sa brouette remplie de noix coco qui serpentait le rivage. C’était une fascination de le regarder rapidement éplucher la noix de coco à coup de machette. La mer était invitante et d’un bleu profond. Mais, je ne savais pas nager, il a fallu me contenter de patauger dans l’eau tout près du rivage.

Le samedi matin, nous nous rendions à l’Église. Je préparais mes tenues et mes chaussures la veille.  C’était une joie de retrouver mes amis de la chorale et préparer ensemble les chants du jour. Nous passions également l’après-midi à l’Église. Il y avait plusieurs activités pour entretenir les jeunes et faire des études bibliques. Après cette rencontre avec Dieu, je me sentais toujours de meilleure humeur.

Et hop dans la voiture, j’attendais patiemment le moment où le volant tournait vers la gauche et une petite barrière verte apparaissait.  Nous étions chez Fanfan, un restaurant familial. Les meilleurs pâtés, kibis et fleurs soleil, petites pâtisseries en forme de fleurs, venaient de là. Je n’ai jamais retrouvé la délicatesse de ces mets ailleurs.

Je pourrais résumer le pays où j’ai grandi en un seul mot : chaleur. Sans se connaître, des gens s’empressaient de s’aider l’un l’autre. Mon école était une grande famille. J’y ai étudié depuis le tendre âge de cinq ans jusqu’à mes seize ans. Mes amies étaient devenues des sœurs, les professeurs étaient bienveillants. Les échanges de soupe Joumou (soupe au giraumon) le jour de l’an qui se faisaient amicalement entre voisins en témoignent. Tout au fond de moi, j’ai peut-être souhaité que ma soupe soit meilleure…peut-être.

Il est vrai que la situation politique et socio-économique du pays est très difficile mais je garde des souvenirs merveilleux à jamais gravés dans mon cœur. Haïti demeure pour moi le symbole de ma douce enfance. Mon vœu le plus cher est qu’Haïti guérisse pour que tous ses enfants jouissent de ses merveilles.